Dans les imaginaires dominants, la ruralité est souvent réduite à quelques clichés : l’agriculture, les clochers, les grands espaces idéalisés ou désertés. Mais ces représentations, partielles et stéréotypées, n’épuisent pas la réalité vécue par les 10 millions de jeunes qui grandissent dans la ruralité et les petites villes françaises.
La plupart ne se retrouvent pas dans les récits qui circulent sur eux. Ils ne voient pas leurs expériences, leurs contraintes, leurs envies reflétées.
C’est ce que vient rappeler, avec force et sensibilité, le photographe Cédric Calandraud dans son ouvrage Le reste du monde n’existe pas, publié ce 3 octobre aux Éditions Loco. Pendant cinq ans, il est revenu sur les terres de son enfance, en Charente, pour documenter de l’intérieur le quotidien de jeunes ruraux. À travers près de 80 photographies en noir et blanc, construites avec eux, et des légendes nourries de leurs paroles, il restitue des existences trop souvent invisibles.
Son travail est prolongé par une conversation avec les sociologues Yaëlle Amsellem-Mainguy et Benoît Coquard, qui mettent en perspective ces trajectoires singulières, et par une lecture politique que nous avons portée, avec Salomé Berlioux. Parce qu’au-delà des images, ce livre est aussi une prise de position : sans représentation juste, pas d’égalité possible.
Depuis 2016, Rura accompagne ces jeunes partout en France. Nous savons combien l’absence de représentations justes pèse sur leurs parcours. Grandir loin des grandes métropoles, c’est affronter des obstacles spécifiques : des kilomètres pour rejoindre son lycée, un temps de transport qui limite les activités extrascolaires, un accès restreint à l’information et aux réseaux. Ce n’est pas une fatalité. Mais quand ces réalités ne sont pas représentées, elles ne sont pas prises en compte.
C’est pourquoi il est essentiel de documenter. Montrer la jeunesse rurale telle qu’elle est, dans toute sa diversité. Donner à voir, à lire, à comprendre ces trajectoires. C’est la condition pour que les jeunes ruraux puissent se reconnaître entre eux et, collectivement, se sentir partie prenante d’une jeunesse française au même titre que les autres.
Tant que la jeunesse rurale ne sera pas racontée fidèlement, elle restera périphérique dans l’imaginaire collectif et marginalisée dans les décisions publiques. Parce que ce qui n’est pas dit n’existe pas.
Alors, raconter. Raconter de l’intérieur, sans misérabilisme ni idéalisation. Raconter pour dire que ces jeunes existent, qu’ils comptent, et qu’ils ont, eux aussi, le droit d’être au centre du monde.
Cédric Calandraud
Originaire du village de La Rochefoucauld en Charente, Cédric Calandraud est photographe-auteur et enseigne la sociologie visuelle à l’Université Paris Cité. Depuis 2018, il opère un retour sur ses origines rurales, un travail qui a reçu plusieurs prix et bourses, dont le prix du jury au festival Les Boutographies à Montpellier en 2018, le prix Echange au festival FotoLeggendo à Rome en 2018, la bourse Laurent Troude décernée par Libération et la SAIF en 2020, la bourse de soutien à la photographie documentaire du CNAP en 2021 et la bourse Radioscopie de la France décernée par la BNF en 2022. Ses photographies ont notamment été exposées à la Bibliothèque Nationale de France (2024), à l’Institut pour la photo (2024) et au Carré Amelot (2024).
